Motocyclettes, figurines et GNS

[2006-04-25 18:22:40]

Ron Edwards se réfère parfois à l'analogie des trois motocyclistes pour expliquer pourquoi les Propositions Créatives sont exclusives entre elles et qu'elles ne peuvent être harmonisées. Je ne trouve pas cette analogie convaincante: il est clair que les trois amoureux de la motocyclette ne le sont pas pour les mêmes raisons mais, qu'en plus, il ne pratique même pas la même activités. Peut-on dire la même chose de trois joueurs pratiquant le jeu de rôle selon trois Propositions Créatives différentes?

Pour prendre une analogie plus proche du jeu de rôle, prenons trois amis qui aiment beaucoup les figurines. Ludovic aime les figurines: il en a des bataillons complets qu'il classe minutieusement, connaissant par coeur les caractéristiques du soldat ou du cavalier que chacune d'entre elles représente. Il les étudie avec attention et s'inscrit régulièrement à de longs tournois aux règles complexes dans lesquels il affronte d'autres joueurs sur de longues batailles durant plusieurs heures.

Son ami Nathaniel aime aussi les figurines mais pas pour les mêmes raisons. Il les choisit soigneusement et les peint amoureusement afin de monter des maquettes au décor soigné. Il passe de longues heures à bâtir ces maquettes et les expose ensuite, pouvant passer de longues heures à vous raconter la scène qu'elle représente et l'histoire de chacune des figurines la composant.

De son coté, Simon aime aussi les figurines. Il a probablement la collection la plus diversifiée des trois, toutes ces figurines étant uniques. Il va souvent collectionner toutes les figurines d'une race donnée pour ensuite s'en désintéresser complètement pour passer à une autre série.

On comprend aisément que bien que les trois amis aiment les figurines, aucun ne le fait pour les mêmes raisons. Il est aussi très clair qu'aucun ne pratique la même activité: Ludovic est un stratégiste, Nathaniel un artiste, et Simon un collectionneur. Pourtant, sachant qu'ils sont de bons amis, on aura aucune peine à croire qu'ils pratiquent ensemble le jeu de rôle. Est-ce leur activité favorite? Y trouvent-ils du plaisir? Quelle Proposition Créative adoptent-ils ensemble?

Mon avis sur le sujet est que s'ils y trouvent du plaisir, c'est qu'ils s'ajustent constamment pour s'assurer que personne ne s'ennuie. Ils savent que Ludovic va toujours prendre soit un guerrier ou un mage puissant, son personnage étant toujours redoutable d'efficacité et ayant toujours en tête la meilleure stratégie pour abattre les obstacles. Simon et Nathaniel lui font confiance lorsque vient le temps de les sortir du pétrin. Nathaniel, lui, a tendance à prendre des personnages troublés ou avec de grandes valeurs. C'est souvent à travers ses personnages que l'histoire va se bâtir, provoquant des dilemmes que les autres joueurs vont lui aider à résoudre. Quant à Simon, on ne sait jamais ce qu'il va jouer: probablement un personnage de la même race que la dernière série de figurine qu'il s'ait achetée. Simon est le jack-of-all-trade du groupe, jamais vraiment efficace mais capable de tout faire. Il finit toujours par sortir une idée inattendue et a une mémoire fabuleuse pour tous les petits détails que le groupe aurait pu oublier.

Leur MJ, Michel, les connaît bien et s'assure à chaque moment que le groupe ne s'ennuie guère. Il suit pour cela les conseils de Robin D. Laws dans son livre «Robin's Laws of Good Game Mastering» qu'il a développé davantage pour tenir compte de son groupe. Ainsi, il sait qu'il pourra compter sur le personnage de Nathaniel pour guider le groupe vers une histoire cohérente et intéressante. Pour Ludovic, il s'assure de mettre en place des épreuves difficiles, son défi étant de lui donner du fil à retordre. Quant à Simon, c'est sa boîte à surprise: ses personnages sont des aventures en eux-mêmes et met à l'épreuve les habilités d'improvisateur de Michel. Michel a toutefois compris que même l'improvisation se prépare et il essaye de ne pas oublier les petits détails que Simon va probablement lui demander en cours de partie.

Le groupe s'amuse-t-il ainsi? Si Michel s'est bien préparé, probablement. Bien que chacun ait ses préférences au niveau de ses activités, il trouve toujours de quoi les servir dans les parties de Michel. Ludovic a ainsi pu appliquer des idées de stratégie développer lors de ses parties et Nathaniel fabrique souvent des maquettes à partir des aventures de ses personnages. Quant à Simon, il est toujours heureux de sortir sa dernière acquisation sur la table de jeu.

Les joueurs ont bien essayé de maîtriser à leur tour à la place de Michel mais ça n'a pas très bien fonctionné. Ils ont trouvé les épreuves de Ludovic trop difficiles ou trop longues à résoudre, n'ont rien compris au scénario que Nathaniel leur proposait et la partie de Simon est rapidement partie dans toutes les directions à la fois sans que personne n'y comprenne un rien. Michel a bien essayé de leur expliquer ce qui ne marchait pas mais ce fût peine perdue: l'intérêt n'y était pas et rapidement Michel est redevenu le MJ du groupe, pour le plaisir de tous.

Cette histoire de nos quatre amis est, à mon avis, crédible. Peut-on m'expliquer maintenant, dans les termes du GNS, pourquoi Michel réussit à obtenir de bons résultats là où les autres ont échoué? Les parties de Michel semblent répondre à toutes les Propositions Créatives offertes, ce qui est impossible selon la théorie. Les parties des autres joueurs semblent avoir une Proposition Créative plus claire mais l'intérêt n'y est pas. On pourra dire que le GNS ne répond pas à ce groupe, qu'il est inutile, mais en ce cas, comment Michel fait-il pour rendre la partie intéressante pour ce groupe disparâte?

Personnellement, je trouve ce groupe beaucoup plus représentatif d'un groupe normal. La méthode de Michel pour parvenir à maintenir l'intérêt du groupe me semble plus intéressante et c'est celle que je cherche à exposer dans mes recherches jeuderôlistiques. Si le GNS ne parvient pas à obtenir de bons résultats avec un tel groupe, ou prétend que le groupe ne peut jouer entre eux, je trouve le modèle incomplet, voire limitatif et ségrationniste (sans nécessairement avoir la force péjorative normalement associée à ce dernier terme). Mon avis est que la méthode (qui manque encore d'assise théorique pour être exposée) de Michel peut bien répondre à la fois à un groupe «compatible» avec le GNS (c'est à dire pour lequel on peut déterminer une Proposition Créative claire qui favorisera l'intérêt du jeu) qu'un groupe qui serait considéré comme Incohérent par le GNS (comme nos trois amis). La recherche doit toutefois sortir du cadre du GNS car ce dernier ne semble pas s'intéresser à un tel groupe, le jugeant incohérent. Du moins est-ce là ma compréhension du GNS.

Note: Message paru sur jeuderôlogie